DELILAH ◊ "You should love the person who makes you glad that you're alive."

       Votre blague de prédilection ? C'est un mec qui rentre dans un café et plouf ! Votre technique de drague? Un slow et une arrestation a plutôt bien marché la dernière fois. Votre alcool favori? Un mojito. Votre tenue fétiche? Un vieux t-shirt à Ian et rien d'autre. Le petit déjeuner parfait? Pancakes au lit.  Votre rendez-vous idéal ? Paris sous la neige. Plutôt noctambule ou casanier ? Casanière, mais ça dépend. Si vous étiez une chanson ? Ed Sheeran — Thinking Out Loud.  Votre objet fétiche ? Sa bague de fiançailles.

       

Delilah s'assit en tailleur au milieu des cartons vides et poussa un grand soupir de soulagement. Les meubles qu'ils avaient envoyés étaient livrés, les cartons étaient presque tous déballés et rangés. On y était. La première étape d'un nouveau départ dans une ville inconnue. Même côte, état différent. Ses yeux firent le tour de la pièce. Il s'en était passé des choses depuis sa naissance et les cinq premières années de sa vie à Paris. Le divorce de ses parents, où Olivia, sa mère, a eu la garde des enfants, l'arrivée à New York, le départ de son grand frère qu'elle n'a jamais revu depuis. Déjà dès l'enfance, ça n'était pas simple. Puis il y a eu ce fameux photoshoot. Olivia était la styliste pour le shooting de la couverture de Vogue, Deli était malade et leur babysitter habituelle ne pouvait pas venir pour cause d'examen. Alors elle l'a emmenée avec elle. C'était la première fois que la fillette se retrouvait sur un lieu aussi prestigieux. Le fils du photographe était là aussi, pour une raison inconnue. En plus, ils étaient dans la même école. Ian Blackwood, arrogant faiseur de troubles. Berk. Mais ils ont fini par discuter pour tromper l'ennui. Après ça, à l'école, Ian l'entraîna dans ses combines. Quelques années plus tard, ils commencèrent à sortir ensemble. Delilah savait le déconcentrer et le remettre à sa place. Diverses premières fois se succédèrent. À seize ans, Ian lui annonça qu'il devait déménager à Los Angeles, suite à une mutation parentale. Ni l'un ni l'autre ne s'en sont jamais vraiment remis. Leurs parents interceptaient leurs tentatives pour rester en contact. La mère de Ian jetait ses lettres à la poubelle au lieu de les envoyer, tandis que celle de Deli l'a forcée à changer de numéro de téléphone. L'adolescente a eu le cœur brisé, alors elle a changé du tout au tout, pour essayer de se blinder, se former une carapace. À l'université, la jeune fille studieuse et malicieuse s'est transformée en une espèce de trou sans fond d'alcool, pilier de bar, présente dans toutes les soirées, mêmes les plus dégueulasses, à se déhancher sur de la techno merdique. En plus de ça, elle a enchaîné les coups d'un soir et les histoires d'amour merdiques, notamment avec son meilleur ami de l'époque, qui s'avèrera après coup être le père de l'enfant de sa meilleure amie de l'époque. Et puis il y a eu cette fameuse soirée d'Halloween, il y a maintenant presque trois ans maintenant, où ils se sont revus pour la première fois. Il l'a invitée à danser, elle a accepté, ils ont dansé leur slow et il est parti sans dire un mot. Bien sûr, il était avec cette pétasse de Megan. Même le simple fait de penser à son prénom lui donnait envie de rouler des yeux jusqu'à la fin de sa vie et lui arracha une grimace de dégoût. Bitch. Et cette fameuse nuit au commissariat. Un sourire étira ses lèvres et elle se précipita dans la chambre, sur le lit, à la place de Ian, inhala à fond dans son oreiller. Foutu commissariat de police, il aurait pu au moins déballer un ou deux cartons avant de partir. Elle allait devoir trouver une tactique pour le forcer à déballer toute la chambre. Hors de question qu'elle fasse les deux plus grandes pièces toute seule. Où elle en était déjà ? Ah oui, le commissariat. Donc, il avait fait le con en réduisant un type en bouillie. Il était bien amoché aussi. Toujours est-il que la seule personne qu'il ait pensé à appeler pour payer sa caution et le faire sortir de cellule à quatre heures du matin, c'était Delilah. Là, toute la tension avait explosé en plein vol et Deli lui a dit tout ce qu'elle ressentait dans un discours enflammé. Ian est revenu sur ses pas et l'a embrassée. Une relation secrète de plus de six mois a commencé.

Mais cela aurait été trop simple si cela suffisait à vivre heureux pour toujours. Ian a mis une éternité à larguer Megan, ce qui a créé des tensions dans leur groupe d’amis, des rendez-vous secrets pas si secrets, un ultimatum et une bague jetée dans un étang. Ç’aurait été n’importe qui d’autre, elle ne se serait jamais retrouvé dans une telle situation ni piqué le mec d’une autre. Mais là, ses sentiments avaient pris le pas sur sa raison. Elle n’avait pas pu résister, ce qui lui a fait couler beaucoup de larmes. La joie qu’elle a ressentie quand il s’est enfin débarrassé de Megan valait le coup d’avoir traversé tout ça. S’en est suivie une période de bonheur absolu qui a duré plusieurs mois… avant qu’il ne fasse tout foirer, encore une fois. En la trompant, elle, pour changer. Pile au moment où elle pensait qu’ils commençaient à construire quelque chose de viable sur le long terme tous les deux. Il a tout essayé pour se faire pardonner, il leur a même acheté un appartement. Mais quelque chose s’est brisé. Sa confiance en lui et en leur relation n’est plus la même, encore aujourd’hui. D’autant plus qu’elle avait suspecté quelque chose et qu’il l’avait fait se sentir comme une folle jalouse de s’être méfiée. Et après, Blondie a eu un accident de voiture et a tout oublié. Ben tiens. Et Ian passait beaucoup de temps à l’hôpital pour aider son amie. Ben tiens. Delilah a été plus compréhensive que la majorité l’aurait été dans cette situation. Pour ne pas devenir un monstre ou un chien de garde. Elle essaie de faire taire ses peurs, mais il y a des jours plus difficiles que d’autres. Ah oui, et vous voulez savoir le pompon ? Deux mois après, Ian a eu un accident de moto. Trauma crânien. Plus de mémoire. Plus de Deli. Terminé. Cela a été très dur et très lent, mais tout à fini par revenir. A un moment, au milieu de tout ça, elle s’est demandé si elle avait encore des larmes à verser, jusqu’à quel point elle supporterait de rester avec lui. Quelle serait la limite. Deux ans plus tard, elle n’a toujours pas trouvé de réponse. Ce qu’elle sait, c’est que lorsqu’il lui a enfin demandé de l’épouser, la réponse était évidente. C’est l’amour de sa vie et apparemment, rien de ce qu’il ne pourra lui infliger sera assez douloureux pour la faire fuir. Jamais.

Dès la fin de son cursus en littérature anglophone et francophone, elle a eu assez de chance pour trouver un poste de doctorante qui la laissait enseigner à l’université quelques heures par semaine tout en faisant une thèse sur la place des personnages féminins dans l’œuvre de Nancy Houston. À Boston. Convaincre Ian de partir fut compliqué, mais il accepta lorsqu’il se rendit compte à quel point c’était important pour elle. Ce simple fait prouve qu’il a mûri et qu’il est prêt à penser à deux. Elle espère qu’en changeant de ville ils pourront laisser toutes leurs vieilles histoires derrière eux et se concentrer sur eux. Tout ira bien du moment qu’elle ne lui demande pas de fixer une date pour le mariage.